Au briefing météo de ce matin du 23 juillet 2020, les conditions sont plutôt bonnes, la masse d’air bien instable, mais avec un risque d’orages et un flux d’Ouest marqué à partir de 1500 m. Il convenait donc de bien surveiller cette tendance instable et humide qui pouvait compliquer les vols. La dorsale anticyclonique attendue étant encore loin des Alpes.



Top Meteo et Arôme confirment une bonne journée : des plafonds jusqu’à 4000 m, un vent raisonnable et des zones orageuses se développant dans l’après-midi. Néanmoins, aucune prévision météo n’avait prévu l’obscurcissement par les enclumes des Cb ardéchois l’après-midi dans le sud-ouest des Alpes !

Dès 12h, les premiers cumulus se forment autour de St Auban dans un ciel parfaitement bleu. Il faut donc partir rapidement.

Mon DG800 est prêt et je serai le premier à décoller de St Auban à 12h30.
Au passage du Ruth, la masse d’air est animée et les varios positifs se manifestent. Néanmoins, je choisis un « point de largage » (arrêt moteur du DG800) un peu plus éloigné vers la Bigue pour ne pas gêner les planeurs purs qui vont arriver dans l’ascendance, car les 4 remorqueurs sont à la tâche à St Auban.

Après la rentrée du moteur, long plané vers les crêtes de Liman où j’arrive vers 1700 m pour l’escalade du Blayeul : bonne confluence sur les crêtes des masses d’air chaudes montant de l’Est et du flux d’Ouest. Je quitte le Blayeul à 13h05 à 2900 m en route vers les 3 Evêchés que je franchis à 3300 m pour plonger dans la vallée de Barcelonnette et le grand Bérard, bien matérialisé par des cumulus. Je quitte la vallée à 3600 m vers le Nord et chemine par le Queyras et le col de l’Isoard. Le Chaberton est bien alimenté par la brise italienne et je poursuis vers le col d’Etache (2780 m) que je franchis à 3800 m ; il est 14h30. La décision de basculer en Maurienne est confortée par des belles matérialisations et un plafond généreux délivré dès la pointe de Ronce (nord du lac du Mont Cenis) à 4200 m.

Le col Carro (3149 m) est atteint à 15h à 3700 m. Et il faut se décider sur ce point clef entre la France et le val d’Aoste en Italie: je continue vers le Nord ou je reviens dans le sud ? Les matérialisations sont belles et le ciel sans voile, même si le sommet du grand Paradis (4060 m) est accroché.
Je décide donc de poursuivre vers le nord en me fixant un point de retour impératif à 16h. Il s’agit également d’éviter une infraction de survol dans le parc national italien du grand Paradis (mini 500 m sol), aussi je décale mon vol sur les crêtes vers l’ouest du val de Rhême et je traverse le val d’Aoste vers le mont Fallère (3060 m) très bien alimenté par la brise italienne du val d’Aoste montant de l’est. Le plafond à 3900 m’incite à poursuivre au nord-est dans le Valpelline vers la Suisse. Le Cervin (4480 m) est au bout de cette vallée, mais il est masqué par des nuages accrochés. Le mont Rose (4630 m) est dans le coton et le grand Corbin (4310 m) accroché lui aussi. Ces sommets à plus de 4200 m resteront inaccessibles.


La montée se poursuit vers le glacier des grandes murailles, atteint à 4000 m,à la dent d’Hérens, à 4 km du Cervin, qui ne pourra être contourné pour rester en VMC !



Il est 15h40, 250 km de St Auban, et le risque orageux dans le sud incite à la prudence et au demi-tour vers le sud.
Le Mont Blanc est à portée d’aile sur la droite plus au sud, et ayant une petite marge de 20 minutes, je décide par gourmandise d’aller profiter de la vue sur les grandes Jorasses et les glaciers du versant italien, le sommet étant au-dessus des cumulus. Ce qui me vaut un « point bas » à Courmayeur à 2900 m. Il est 16h00 et on commence à entendre à la radio que le sud se voile.






Par où revenir ? J’envisage un retour par le col du petit St Bernard, la vallée de la Tarentaise et les faces ouest des montagnes (Belledonne, Ecrins) qui devraient être bien ensoleillées et ventilées, mais les enclumes de Cb que je vois monter à l’ouest m’incitent à revenir par l’est.
Retour donc le long de la frontière franco-italienne et passage du col de l’Iseran à 3700 m à 16h40.
Descente rapide de la vallée de la Maurienne le long du parc de la Vanoise et passage du col d’Etache à 3400 m à 17h. On voit très bien les enclumes de Cb qui obscurcissent tout le sud-ouest des Alpes.
Je décide donc de rester sur l’est des montagnes et descend par le col de l’Isoard et le lac des 9 couleurs en limite de soleil. Il y a 4200 m de plafond et il est 17h30.

A partir de là, le ciel est très couvert, la convection faiblit et se pose la question de la rentrée à St Auban.  Même avec une finesse calculée de 26 pour rentrer, je ne peux pas franchir les cols nécessaires. Je conserve prudemment le local de Barcelonnette au cas où les Cb envahiraient le parcours et l’ouest vers St Auban.

Par chance, le « chapeau de gendarme » et sa crête au sud de la vallée, même dans l’ombre, permettent de cheminer sans trop descendre et passer le col d’Allos puis le col Caduc à 3200 m à 18h10. Je suis maintenant en local de St Auban et il fait très sombre. Un long plané direct me descend à 1700 m vers la corne de Lure à 18h40 où il reste une petite tâche de soleil mais les varios restent résolument négatifs … sauf en arrivant à proximité de la ZPA où je trouve par hasard un vario laminaire (+1, puis +2, +3, +4) : je suis tombé dans l’onde qui démarre bas puisque la convection est arrêtée par le voile épais. Montée au FL115, limite VMC et TMA de Marseille et petit tour vers St Christol.

Ce ne fut pas un vol de performance : selon la netcoupe, 5 pilotes dans les Alpes ce jour-là auront fait des vols plus longs, mais une belle promenade de 580 km à 83 km/h de moyenne, uniquement en thermodynamique, pas trop vite pour rester prudemment près des plafonds (les plafonds sont hauts, mais le sol aussi !), en cheminant en sécurité toujours en local d’aérodromes pour dégager en cas d’orage, et en surveillance des Cb. Les paysages grandioses des très hautes montagnes alpines, l’enchaînement des glaciers, des cols, des pics et des lacs d’altitude, les vallées isolées … tout ça remplira la mémoire pour les soirées d’hiver ou les jeudi d’atelier à Graulhet !

 

Christian Chabbert